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Modernité

Chambarans

On l’a répété, ce qui nous a poussé à choisir le découpage des régions naturelles tient dans leur indécision, leurs contours mouvants, leur absence d’utilité administrative, les indices qui les relient aux temps géologiques et, quelque part, ces noms de pays perdus. Le nom précédant souvent la découverte, c’est à partir de celui-ci que l’on commence à s’imaginer une région, à se la construire.

Dans le cas des Chambarans, avant d’apprendre son nom et de la traverser dans son épaisseur, j’ai connu son caillou le plus fameux. Visitant il y a une vingtaine d’années le Palais Idéal du Facteur Cheval, j’avais cherché au milieu des rocailles la première pierre, celle que le Facteur avait rapportée de sa tournée, celle dont la forme étrange composée de plusieurs strates clairement dessinés et dont les courbes semblaient façonnées à la main, comme badigeonnées d’ocres, contenait tout le Palais.

Un peu déçue de ne pas l’avoir vue, je faisais développer quelques semaines plus tard la pellicule photo de cette excursion et en feuilletais les tirages. Sur l’un d’eux je suis à Hauterives, on voit qu’il fait froid, j’ai un gros manteau de laine. Je regarde en l’air. À côté de moi trône fièrement la pierre initiale.

Les Chambarans sont une histoire de cailloux. Désormais on ne sait plus ce qui relève du fantasme ou de la réalité, mais le récit de sa formation actuelle est l’un de mes préférés. Durant les dernières glaciations, le glacier de l’Isère poussait ses débris des sommets alpins jusqu’à Grenoble, buttant plus au nord contre le glacier du Rhône avant de se faufiler entre le massif du Vercors et le plateau des Chambarans. Dans l’actuelle vallée, on sent encore sa langue étalant une moraine de pierres polies sur ses flancs. On dirait qu’un géant a traîné quelques poignées de sable grossier pour construire une rigole de la largeur de ses doigts, achevant d’appauvrir une terre déjà glaiseuse, impropre aux cultures. On retrouve aujourd’hui bon nombre de ces galets dans les façades des maisons, en soubassement des fermes en pisé, contre la molasse effritée, dans les champs de noyers ou encore en différents endroits du Palais.

En haut du plateau, un camp militaire se traverse sous les menaces de tirs en cours. Interdiction de quitter la route.

De temps en temps, les restes d’un message écrit sur le bitume ou sur une glissière de sécurité par la ZAD opposée à l’installation d’un Center Parc au cœur des grands bois de feuillus.

En septembre, dans les collines du piémont, on sort de petits tracteurs sur lesquels ont été aménagés des toits en panneaux de bois. Ils protègent le cultivateur des averses de noix lorsque celui-ci secoue ses fruitiers.